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     La mode, on le sait, est un art à double tranchant. Dès les prémices de cette terminologie glissante justement, de ce mot simple et presque désincarné à la longue mais que certains refusent d'apposer sur le phénomène. La mode est-elle réellement un art? Si oui, que nous dit-elle du monde? Entre Picasso et H&M, pas grand chose à voir, a priori. Et pourtant si la mode, le vêtement sont art, peuvent-ils se contenter de ne l'être que dans la haute couture ou chez les créateurs? Depuis l'invention de la photographie et les sempiternelles interrogations soulevées par Walter Benjamin dans L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, on a tendance à penser que ce qui peut se reproduire, se décupler, falsifie, assombrit l'original. Je ne sais plus quel peintre disait qu'il fallait que notre fascination, obsession pour l'original cesse, car une copie pouvait être bien meilleure qu'un original justement, même si notre société a du mal à l'admettre, ou même tout simplement le penser. Duchamp et avec lui tout "l'art moderne" viennent nous le démontrer, et cristalliser l'intérêt de l'art dans le geste, la pensée plus que -mais pas toujours au détriment- dans l'objet qui en découle, dans l'histoire plutôt que dans le résultat donc. Idée assez frappante, surtout si l'on prend le temps de se dire que s'il y a bien un domaine qui échappe au diktat de la productivité, du chiffre, en bref du résultat, c'est l'art. Mais il ne s'agit pas de présenter n'importe quoi, évidemment, seulement de se dire que l'art est intéressant dès lors que l'on se l'approprie, qu'on le projette et se projette à travers lui, grâce à nos émotions, nos sensibilités. L'art est donc histoires, il les raconte en même temps qu'il naît de celles-ci. Le processus créatif réside de toute façon plus dans la recherche que dans le résultat, celui-ci venant parfois simplement plaquer, relater, apposer l'aboutissement des recherches de l'artiste. Le but étant de secouer, d'interroger, d'émouvoir et/ou de remettre en cause.

     Ici donc, Joan Didion, nouvelle égérie Céline. Certes, les mannequins sont des faire-valoirs, des concepts tout prêts pour faire vendre, et personne ne saurait être dupe de la campagne arty de Phoebe Philo, campagne qui, comme tant d'autres, a pour but de nous faire adhérer à une image, de nous faire croire qu'en portant les vêtements de la marque cette image se dégagera naturellement et comme par enchantement de nous. Ainsi en est-il des "concept-store", des "concept-food" et tous ces concepts-à-particule branchouilles déclinés à l'envie ces dernières années, ou encore des magasins de la griffe Agnès B. qui parsèment les lieux de DVD de la nouvelle vague (pour quoi faire?). On pourrait se dire qu'avoir pour égérie une artiste-écrivain, qui plus est de 80 ans, coïncide complètement avec cette volonté d'imposer un ADN bien reconnaissable qui fera oublier qu'il s'agit d'une publicité, pour substituer à la suspicion qui se dégagerait de celle-ci  ("quoi? encore me faire acheter?") un "ça a d'la gueule" étonné et/ou conquis. Reste que cette intellectualisation du vêtement, cette approche, presque entièrement détachée de la sape - comme pour la reléguer au second plan, nous dire " on sait que le monde de la mode est superficiel, mais regardez, nous (en l'occurence Céline) ne sommes pas que des vêtements, ne sommes pas que des mannequins glacées désincarnées, mais bien des idées, des histoires justement -, bref cette approche tape dans l'oeil. Et ce, passé  même le premier étonnement.
 
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http://jemappelleferdinand.cowblog.fr/images/20142015/joandidion.jpg Joan Didion en 1968, photos ayant déjà inspiré les visuels de la précédente campagne Céline réalisée par Juergen Teller
 
     L'interrogation lancinante autour de l'âge des mannequins - qui ne sont plus seulement mannequins mais bien personnalités -, n'arrive pas comme un cheveux sur la soupe mais bien au contraire comme un signe du temps bien pensé à l'heure où la nouvelle mode capillaire vire au blanc et au gris, même et surtout pour les plus jeunes, et où le maquillage perd ses éternelles pigmentations noires pour se parer d'une blancheur polaire et/ou précoce.

     Alors, marketing bien orchestré - et c'est sans doute ce qui peut le plus irriter dans ce monde de la mode lorsqu'on veut y apposer le mot d'art - ou véritables pistes à creuser d'une société qui cherche de nouveaux repères, cette nouvelle "tendance" se situe sans doute entre les deux, mais, si l'on préfère rester critique pour ne pas se jeter d'un seul bond dans la gueule du loup, rien n'empêche d'y porter, en parallèle, un regard bienveillant et curieux, qui ne demande qu'à en voir davantage, car une fois le doute et la réflexion distillés, l'intérêt n'en demeure que plus sincère. Et bien sûr qu'intégrer le troisième âge dans la mode reste un acte révolutionnaire - toute proportion gardée -, marketing bien travaillé ou non.