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     "On a tôt fait avec ces figures de "Grands Hommes" ignorés de leur temps, comme Van Gogh, et si dédaigneusement, de ne plus voir en eux, devenus célèbres, mythiques après leur mort, qu'un nom, une oeuvre, un destin. Il n'y a pas de "destin". C'est chaque jour, à chaque heure, chaque minute et dans l'ignorance de la seconde suivante qu'ils ont vécu au sein de la banalité ambiante - et dans la détresse d'en être bannis; bannis de ces structures tièdes, protectrices, mais refusées car elles ne supportent pas le danger de la connaissance - ni la fragilité de ceux qui vont, lucides, à ce danger et qui ont, pourtant, d'autant plus cruellement besoin de ces refuges interdits. C'est dans le vertige quotidien qu'ils ont vécu les affres du désir, la jubilation, ses intermittences, les valeurs oscillantes, les défaillances du talent, le malaise et la culpabilité de croire à soi, de ne pouvoir faire autrement, ce qui signifie assister à sa différence, l'assumer, mais non point avoir confiance en soi. Bien au contraire, c'est souvent partager avec les autres, éprouver plus que les autres le dégoût, l'inquiétude, le mépris qu'ils ont envers celui qui pourrait toujours, tel Proust, se désigner comme "Moi, l'étrange humain".
     Ils se débattent dans l'ignorance de ce que représentera leur nom, leur oeuvre et dans l'horreur de vivre " ce destin" qui deviendra plus tard une anecdote, une rubrique d'encyclopédie; ils se débattent piégés hors du piège où la société convie à ces exercices de la mort codés par les lois, seule forme d'existence tolérée, qui oblitère la terreur de la différence et permet de glisser, anesthésié depuis toujours, vers la mort, au lieu d'y basculer vivant."

Van Gogh ou l'enterrement dans les blés, Viviane Forrester, p. 17-18.